11/05/2013

Le Projet Morgenstern / David S. Khara

Lorsque je m'étais fait l'écho du Projet Bleiberg, le livre avait pris son envol depuis un moment déjà, relayé par la presse, les libraires, les bibliothécaires mais surtout, par les lecteurs eux-mêmes. Le phénomène était à peu de choses près similaire à celui rencontré avec La Chambre des morts de Frank Thilliez. Un éditeur qui gagnait à être découvert, un auteur qui le méritait tout autant. Le genre d'histoire qui plaît encore, celle de ces écrivains qui sortent d'un peloton compact, resserré, pour faire une belle échappée inattendue et surprenante. On ne sait pas s'ils tiendront sur le même rythme tout le long de la course mais après tout, peu importe : ce qu'ils ont entrepris est déjà remarquable. Et quand un bouche-à-oreille fonctionne ainsi, rien ne coûte d'aller voir de plus près de quoi il retourne ni de céder à une saine curiosité. Une curiosité pouvant finalement mener jusqu'au Projet Morgenstern qui clôt la trilogie impulsée – et bien impulsée – par David S. Khara.

Jacqueline Walls et Jérémy Corbin sont parvenus à se poser, à mener ce qui ressemble de loin à une vie relativement paisible après les événements auxquels ils ont été confrontés avec Eytan Morgenstern depuis le Projet Bleiberg. Jacqueline est devenue flic dans la ville du New Jersey qu'ils habitent. Jérémy a rejeté son ancienne vie de trader pour devenir libraire. Ils ont eu une petite fille. Rien a priori ne devrait bousculer cet équilibre acquis de haute lutte mais d'autres personnes en ont décidé autrement. De sorte qu'Eytan, qui ne veut s'attacher à personne, va tout mettre en œuvre pour les protéger, quitte pour cela à renouer une fois de plus avec son passé. Car ce qui se trame aujourd'hui possède de sombres résonances avec l'objet de sa lutte et la racine de ses propres souffrances...

Pas facile, sans doute de continuer sur la lancée d'un Projet Bleiberg. Est-il possible de tenir ainsi sur la longueur, faire en sorte que l'intérêt ne s'émousse jamais ? Le Projet Shiro, deuxième volet des aventures d'Eytan Morgenstern avait à lui seul levé le doute, et si tant est qu'il soit réapparu, ce dernier tome le renvoie définitivement dans les limbes. Certes, la mécanique est identique, l'auteur alternant éléments du passé et temps présent. Certes, les personnages et leurs particularités nous sont connus. Mais cela n'enlève jamais, n'enlève en rien la faculté qu'a David S. Khara de raconter l'Aventure, de la poser, la décomposer, de l'étirer, de la rendre malléable au point d'en faire ce qu'il veut.

Cela tient parfois à peu de choses. Certains vous parleront de style cinématographique, de scènes très visuelles. Personnellement, je perçois dans cette série de livres – et je peux me tromper naturellement - la somme des influences que peut avoir l'auteur, que ce soit en matière de livres ou même de films, et qui sonnent comme un écho incroyable aux références que je colporte dans ma propre caboche. Cela s'avère saisissant dans les scènes se passant pendant la seconde guerre mondiale, en Pologne, lorsque Eytan rejoint les rangs d'un groupe de résistants, qu'il lutte avec eux pour déjouer les plans des occupants. Et pourtant il ne s'agit pas non plus d'un simple copier / coller de références, car l'auteur a son style propre, un style efficace, vif et... oui, imagé. Il a sa manière bien à lui de poser son histoire, de dépeindre actions et situations. Mais surtout, il connaît ses personnages, aime - cela se voit, se sent - les faire évoluer selon des caractéristiques qui leur sont propres sans pour autant les faire réagir de façon trop systématique à tel ou tel événement donné. Ce sont à la fois des personnages de fiction répondant aux codes du roman d'Aventure, avec ce qu'il faut d'humour, de sérieux, de réfléchi et de faculté à réagir aux embûches semées sur leur parcours, mais ce sont avant tout des personnes en questionnement sur le monde qui les entoure.

Côté questionnements, justement, on n'est pas en reste avec le Projet Morgenstern. De ce point de vue, l'alternance passé / présent, revêt toute son importance. Parallèle miroir, elle renvoie la quête de l'Übermensch, dont Eytan a été l'une des victimes, au transhumanisme, mouvement qui tendrait à améliorer les capacités humaines grâce à la science. Pas question en l'occurrence de jeter le progrès ou les innovations à la trappe mais de mettre en garde contre les dérives qu'elles ne manquent pas d'engendrer...

Vous l'aurez donc compris, si vous manquez de Projets en ce moment, vous savez vers où vous tourner... ils sont disponibles dans toute bonne librairie indépendante... ou en bibliothèque... enfin j'espère.


Le Projet Morgenstern, de David S. Khara, éditions Critic, 2013, 361 p.

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