21/12/2012

Vortex / Robert Charles Wilson


Je sais, je sais, je sais.... La fin du monde, vous commencez à en avoir marre. Un peu de patience, demain vous verrez... on en parlera encore. Mais seulement demain, histoire de dire : « Voilà, ça n'a pas eu lieu, à quelle date ça nous renvoie la prochaine prophétie ? »

C'est pas aujourd'hui prévu en tout cas qu'un petit 2 va venir semer le ouaille ouaille web dans cet univers binaire, alors j'en profite pour vous parler brièvement du dernier tome de la série consacrée aux Hypothétiques, Vortex. Je dis brièvement parce que de deux choses l'une, soit vous avez commencé le cycle avec Spin et Axis et il y a de fortes chances pour que vous vous précipitiez sur celui-ci, soit vous ne savez rien de cette histoire, auquel cas : 1.n'hésitez pas à lire la chronique de Spin, présente dans ces murs (et même au-delà, le livre a fait grand bruit partout ailleurs à juste titre).2.Allez-y parce que ce troisième volume mérite la lecture des deux précédents à lui tout seul. (Lorhkan tu sais ce qu'il te reste à faire, le clou est désormais enfoncé!) 3. Vous êtes encore là ?

Vous l'aurez compris, cette chronique est quelque peu atypique. Pourquoi consacrer un billet à un livre si on n'en parle pas vraiment. Soit. Je pourrais tout à fait évoquer la préoccupation – sans être non plus fataliste - de l'auteur pour l'état du monde, de la façon dont nous épuisons ses ressources à une vitesse hallucinante, de sa mise en garde contre l'hyperconnectivité ou toute autre forme de conscience collective au détriment du particulier.

"Ressentir en solitaire du chagrin (ou de la culpabilité, ou de l'amour) était indissociable de la condition humaine, du moins, il l'avait été. nous avons supporté ça pendant la majeure partie de notre existence en tant qu'espèce. Partager ce fardeau d'une manière qui amoindrissait la souffrance n'était sans doute pas une mauvaise chose, et peut-être y avait-il quelque chose d'admirable dans la volonté des Voxais d'aider leurs concitoyens à porter leur fardeau  de larmes. Sauf que ce baume se payait par une perte d'autonomie personnelle, par une perte d'intimité."

Voilà, si vous voulez, pour l'aspect général abordé en deux coups de cuillère à pots. Mais si j'avais vraiment voulu vous faire saliver avec Vortex, je vous aurais parlé des pages 173 et 174. La scène qui y est décrite , pour vous dire, ça vaut tous les pesants de cacahuètes. Et encore, j'ai beau chercher une bien plus belle métaphore, elle ne me vient pas. Si demain arrive, je tâcherai de remédier à ça, de me triturer le cerveau à moins que vous, lecteur de ce blog, vous vous sentiez habité d'une soudaine fibre imagière (auquel cas vous pouvez vous illustrer dans la page des commentaires). En attendant, si vous voulez en savoir un peu plus, soit vous allez : 1. lire ces deux pages mais bon, sorti du contexte, ce sera aussi lisible qu'une tablette maya. 2. J'insiste, je sais, mais pour en savourer toute la substantifique moelle, il vous faudra lire Spin et Axis d'abord. 3. Non, je ne comprends pas comment il est possible que vous soyez encore là... 

Vortex, de Robert Charles Wilson, traduit de l'anglais par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2012, 352 p.
CITRIQ

18/12/2012

En souvenir d'André / Martin Winckler

Coïncidence. Rien qu'une coïncidence mais c'est tout de même... surprenant. Ces derniers temps, il est rare que je lâche le polar ou la SF pour des ouvrages de littérature générale, et encore moins de littérature générale française. Néanmoins, il y a quelques semaines, j'ai lu l'avis très élogieux de Morgane concernant le dernier livre de Martin Winckler, En souvenir d'André. Hormis Le Chœur des femmes, j'avais apprécié tous les romans appartenant à la veine médicale de l'auteur parus chez POL, et je ne manque jamais de m'intéresser à chaque parution s'y inscrivant (les polars que le monsieur a écrit m'ont bizarrement beaucoup moins intéressés).

Pourquoi coïncidence, donc ? J'ai commencé le livre hier soir dans un cabinet médical – n'allez pas croire que j'aie pu déceler une coïncidence dans ce simple état de fait, mes perfides et chers collègues vous diraient que je passe mon temps chez les médecins – pour le terminer aujourd'hui, date à laquelle le professeur Sicard a remis à François Hollande son rapport sur la question de la fin de vie.

La fin de vie. Le suicide médicalement assisté, c'est là le thème central abordé de manière sensible et juste dans En souvenir d'André.

Dans un futur proche, l'aide médicale au suicide a été légalisée. Emmanuel, ancien médecin à l'Unité de la douleur, est atteint d'un cancer et reçoit chez lui la visite d'un volontaire chargé de l'accompagner dans ses derniers instants. A cette occasion, il raconte ses souvenirs, remonte aux sources de son parcours, des circonstances qui l'ont amené à aider les gens à mettre fin à leur jour, quand cela n'était pas encore autorisé.

"Quant à les aider à choisir le moment de partir, il n'était même pas permis d'en parler. Les principes comptaient plus que le soulagement des souffrances."

Il l'a fait une première fois. Puis une autre, en souvenir d'André. Puis plein d'autres fois encore. Il restait présent. D'abord pour soulager la douleur, ensuite, parce que c'était indissociable, pour écouter et absorber les histoires des uns et des autres.

"J'espère que je ne vous assomme pas avec toutes ces histoires. Mais nous n'avons que ça, finalement. Des histoires. Pour nous aider à vivre, pour nous préparer à mourir."

En souvenir d'André est un roman qui mérite d'être lu à voix haute. Martin Winckler a usé ici d'une sobriété stylistique qui restitue d'une façon assez remarquable la fragilité des êtres qui le peuplent. Emmanuel s'en fait le témoin grâce à sa mémoire exceptionnelle. C'est par lui que transitent toutes leurs histoires, qu'elles nous parviennent avec émotion. Point de pathos pour autant. La réalité, dans cette fiction, n'est pas loin, on le sait. Elle n'a pas besoin d'artifices pour s'exprimer dans sa plus absolue sincérité. A cet effet, Martin Winckler revient donc sur l'importance de l'écoute du patient, la considération à apporter à la souffrance et à la nécessité de l'atténuer, sans oublier l'évolution de la société, une société qui gagnerait à être plus progressiste, ne serait-ce que pour se recentrer, en ce qui concerne la fin de vie, sur le respect dû aux personnes et à leur dignité. Vaste débat qui n'a bien sûr pas fini de faire couler de l'encre...

Au-delà de l'aspect romanesque, qu'il serait dommage de dénigrer, il y a fort à parier aussi que ce livre parlera à beaucoup de monde. Pas seulement parce qu'il traite de la mort, celle des autres tout comme la nôtre, pas seulement non plus parce qu'il s'ancre dans un débat de société, mais surtout parce qu'il peut nous renvoyer à notre propre histoire. Parfois à travers de petits riens, l'évocation d'un détail, d'une odeur, d'une situation... Des fragrances de souvenirs qui, au final, rendent ce roman bouleversant.

En souvenir d'André, de Martin Winckler, POL, 2012, 199 p.

17/12/2012

Les Sept lames. Tome 1, L'Antre des voleurs / David Chandler

Deux ans ! Deux ans que je n'avais pas ouvert un livre de fantasy, sinon pour en feuilleter un ici ou là sans jamais succomber. Mais voilà, Jean-Luc Rivera dont je suis assidûment les coups de cœur sur le site ActuSF et l'opération masse critique de Babelio sont passés par là, alors...

…alors, ce n'était pas mal du tout. Ce n'est clairement pas l'ouvrage qui va tout ravager sur son passage, ni faire s'ébranler les fondations des littératures de l'Imaginaire, mais pour ce qui est de divertir, David Chandler a plutôt bien mené sa barque.

La Cité de Ness vit ses derniers instants. C'est en tout cas ce que souhaite un mystérieux commanditaire lorsqu'il s'entoure des services d'un magicien à la sombre réputation, Azoth, et d'un géant de muscles, Bisbille, détenteur d'une des sept lames tueuse de Démons. Pour parvenir à leur fin, ils ont pour projet de voler la couronne du burgrave, le seigneur de la ville, certains que si celui-ci ne la revêtait pas avec aux cérémonies officielles de la Damade, la ville serait alors soumise à une vindicte sans précédent, entraînant dans son sillage un chaos indescriptible. Pour mener leur plan à bien ils comptent aussi engager un voleur doué, mais suffisamment stupide et naïf pour pouvoir s'en débarrasser sans heurts une fois la tâche de celui-ci accomplie. Leur choix se portera sur Malden, un jeune homme débrouillard qui vient juste de tomber dans les griffes de Tailleserpe, le maître de la guilde des voleurs. Le plan est irréprochable à un détail près : Malden est loin d'être stupide.

L'Antre des voleurs est un livre bien rythmé dont la grosseur n'implique aucune longueur. On ne va pas s'en plaindre... C'est d'autant plus surprenant que l'auteur a recours à l'unité de lieu, l'action se restreignant à la seule ville de Ness. L'extérieur n'est ici évoqué qu'à de courtes occasions, pour alimenter les enjeux auxquels peuvent être soumis certains personnages. D'autre part, on doit sans doute à l'humour qui émaille ce récit cette facilité de lecture. Pas d'humour potache mais une volonté certaine de l'auteur de ne pas trop se prendre au sérieux, de s'amuser avec ses personnages et de jouer avec les codes de la fantasy.

Seul petit bémol tout de même, mais rien de bien méchant et qui tient sans doute à la légèreté assumé du récit : David Chandler use un peu trop du cliffhanger. Il met souvent Malden et consorts dans des situations inextricables dont on imagine mal comment ils pourront s'en sortir, tout en sachant pertinemment qu'ils vont en réchapper deux chapitres plus loin, quand la narration reviendra sur eux. Ce procédé s'accélère en fin d'ouvrage lorsque l'action s'emballe. L'alternance de focalisation dans des chapitres assez courts suscite un certain agacement, d'autant que ce n'est vraiment pas très utile quand on connaît tacitement l'issue des scènes présentées.

S'il est courant de voir des série à rallonge en Fantasy, le fait qu'il y ait une suite à l'Antre des voleurs est assez surprenant. Cet ouvrage aurait pu se suffire à lui-même. Mais à l'instar des polars où l'on apprécie aussi les personnages pour leur vie personnelle, leur caractère, leur entourage, l'univers dans lequel ils évoluent, et pas seulement pour leurs enquêtes, on imagine très bien revoir Malden et ses acolytes dans d'autres aventures, juste pour le plaisir de voir dans quel pétrin ils vont se fourrer... et comment ils vont s'en dépêtrer !

CITRIQ
Les Sept lames tome 1 : L'Antre des voleurs, de David Chandler, traduit de l'américain par Benjamin Kuntzer, Milady (Milady Imaginaire), 644 p.

13/12/2012

Axis / Robert Charles Wilson


Depuis que la Terre est soumise au vieillissement de l'univers et à la menace d'une nova, beaucoup d'humains ont traversé l'Arc des Hyptothétiques leur permettant de gagner instantanément une nouvelle planète, Equatoria, laquelle offre la perspective d'un renouveau salutaire. C'est dans ce cadre de colonisation, de défrichage d'un monde où tout reste à (re)faire, qu'une communauté de Quatrième Ages, envisage d'entrer en communication avec les Hypothétiques. Ces personnes ayant accru leur longévité grâce au savoir Martien sont prêtes à tout pour y parvenir, y compris braver les interdits éthiques et moraux. Sur leur route, ils croiseront une jeune femme du nom de Lise Adams, partie à la recherche de son père, disparu du jour au lendemain alors qu'il semblait lui aussi s'intéresser de très près au mystère des Hyptothétiques. A mesure, que chacun semble s'approcher de son but, des pluies d'une cendre bien singulière s'abattent sur la planète...



 Après un chef-d'oeuvre comme Spin, l'attente est forcément présente de renouveler une telle expérience de lecture. De constater que l'auteur n'hésite pas à jouer de la récidive, quand bien même la barre avait été placée très haut.


Si l'attente est là elle peut aussi s'avérer être une gêne dans l'appréciation de la suite ou, de façon plus appropriée ici, du prolongement de Spin. Mieux vaut en l'occurrence se dédouaner de cette attente. La question ne se pose pas, ne devrait pas se poser de savoir si Axis est mieux ou pas que le premier ouvrage de la série consacrée aux Hypothétiques. A la lecture, en tout cas, cette perspective fond comme neige au soleil. Là où Robert Charles Wilson tire son épingle du jeu, c'est justement en ne nous proposant pas une copie de Spin, ni même une structure identique à celui-ci. Le temps de l'action est sensiblement réduit dans Axis puisqu'il s'échelonne sur quelques semaines seulement. L'auteur nous propose un road movie dynamique, percutant et ineventif où, encore une fois, l'imagination de haute volée est au rendez-vous, toujours aussi efficace et surprenante. La pluie de cendres et sa nature si particulière en est un exemple parfait ; certaines scènes sont tout simplement sidérantes, notamment lorsque les protagonistes doivent subir une tempête redoutable et angoissante - tant pour eux que pour le lecteur - ou même encore lorsqu'ils découvrent des pousses végétales dotées d'un globe oculaire.




Autre aspect qui donne aussi tout son intérêt au livre, nous ne sommes plus sur Terre, ou si peu. Robert Charles Wilson campe à merveille la planète en phase de colonisation. Une colonisation qui n'est pas sans rappeler, d'une certaine façon, la Conquête de l'Ouest américain. L'implantation s'est faite petit à petit, les pionniers ont investi les lieux, certains par soif d'aventures ou de profits, d'autres pour tirer un trait sur une vie faite de désillusions, quand ils ne sont pas en quête de rédemption.



On ne le répètera jamais assez, Robert Charles Wilson prend un soin tout particulier à nous offrir des personnages de chair et de sang dont le sort nous importe vraiment. Comme on s'y attendait également, il n'oublie pas non plus de lever un peu plus le voile sur la nature des Hypothétiques tout en laissant ce qu'il faut de points d'interrogation au dessus de la tête du lecteur. Toutes les réponses devraient suivre dans Vortex et si on en croit les bruits courant sur les blogs, la série devrait mériter un véritable Hat Trick...

Axis, de Robert Charles Wilson, traduit de l'angalis (Canada) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2009, 400 p. Disponible aussi chez Folio SF, 483 p.
CITRIQ

24/11/2012

Spin / Robert Charles Wilson

Ce ne sont que des mômes quand les étoiles disparaissent un soir d'octobre, subitement, sans même un signe avant-coureur. Tyler Dupree, Diane et Jason Lawton ont assisté à l'événement, prenant tout à coup conscience que quelque chose d'irrémédiable venait de se produire, que leur vie, le reste de leur vie allait s'en trouver chamboulée. Qu'elle n'aurait pas été la même sans le Spin. C'est ainsi qu'on a baptisé le phénomène, ce filtre, cette barrière, cette membrane coupant la planète du reste de l'univers où le temps s'écoule vertigineusement plus vite, le faisant vieillir au point de laisser l'humanité dans l'expectative d'une fin du monde annoncée. A moins que le Spin ne soit justement là pour la sauver, quand bien même l'intention des Hypothétiques à qui on l'a imputé sans rien savoir d'eux, reste irrémédiablement floue.

En 2007, lorsque je conseillais le livre dans la librairie où je travaillais, je disais ceci : « vous pouvez y aller c'est le meilleur livre de science-fiction des dix dernières années. » Sans mentir, sans pousser à la vente. Ce livre là, j'ai même convaincu des personnes réfractaires au genre de le lire, et quelques-uns sont revenus me signaler combien ils l'avaient apprécié. La force de Spin est là, dans son accessibilité, dans une narration n'excluant jamais personne, malgré les concepts scientifiques abordés ici ou là. La raison est simple en définitive et elle tient en un seul mot : l'humanité. L'humanité dont fait preuve Robert Charles Wilson et qui se reflète à travers ses personnages, leurs aspirations, leurs préoccupations les plus communes jusqu'à leurs craintes existentielles, mais aussi dans les liens qui les unissent, les font s'éloigner, se rapprocher. Confrontés à l'impensable, tiraillés dans leurs certitudes et dans leurs croyances, ils s'évertuent à vivre malgré tout sous le prisme d'une réalité peut-être illusoire.

Il y a cela et bien plus encore dans Spin. Car Robert Charles Wilson, fort de cette accessibilité, va aussi loin, très loin dans l'innovation créatrice. Certes, en lisant le résumé de l'histoire, on ne peut que penser à celui du Voile de l'espace de Robert Reed, mais l'ensemble des aspects scientifiques abordés dans Spin m'ont paru vraiment originales au point de servir l'histoire à un degré incroyable. Qu'il s'agisse de la membrane Spin à proprement parler, du temps favorisant le vieillissement de l'univers et confrontant l'humanité à une fin du monde anticipée, de la possibilité inhérente au phénomène de terraformer Mars, de récolter les fruits de celle-ci à travers la rencontre d'un Troisième type (!), des répliquants, ces organismes capables de se reproduire, de s'étendre, de communiquer entre eux et de ramener des informations issus des confins de l'univers, il y a à travers l'ensemble de ces éléments une bien belle matière à raconter une histoire riche, prenante, passionnante. Et touchante aussi car Robert Charles Wilson ne s'écarte jamais de ses personnages, il en fait le matériau vivant autour desquels tout s'articule. Bien que le récit courre sur des décennies, et bien plus encore selon de quel côté de la membrane on se situe, il ne déborde jamais de son cadre, ne s'autorise aucune pirouette, aucune facilité, ne laisse aucune zone d'ombre si ce n'est sur la nature même des Hypothétiques. Concernant ce dernier point, rien d'étonnant. Les deux volumes qui suivent, Axis et Vortex, devraient apporter des éléments de réponse. On y reviendra sous peu.

Relire un livre que l'on a particulièrement apprécié implique une possible déception. Il n'en est rien avec Spin. L'émerveillement est toujours là, jusqu'au bout, jusque dans les présomptions et l'expectative quant à ce qu'on va trouver de l'autre côté, aux confins des étoiles... Depuis 2007, rien n'a chang...ah si tout de même : je ne vends plus de livres, je les prête. Et je peux maintenant dire que Spin est le meilleur livre de science-fiction des... quinze dernières années. Là encore, sans mentir. 

Spin de Robert Charles Wilson, traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2007, 560 p. Disponible aussi chez Folio SF, 624 p.

CITRIQ

07/11/2012

Avant de partir !

Je ne pouvais pas m'envol... prendre le train pour les Utopiales, Festival incontournable de science-fiction, sans prendre le temps de vous parler de deux livres qui ont tous deux eu un effet certain sur ma personne. J'ai pris une gifle avec le premier, et j'ai comme qui dirait tendu l'autre joue pour le second. A la réflexion, cette image là ne sied pas à un super-héros, aussi vous dirais-je donc plus exactement que, de ces lectures, j'en suis resté sur les fesses comme après avoir reçu une rafale ectoplasmique à ondes réfractalement hostiles. Dans les deux cas, l'équilibre est rétabli, merci.

On commence avec le premier dans l'ordre d'apparition derrière le masque  : Rendez-vous au 10 avril, signé Benoît Séverac. Vous pouvez toujours aller chercher ce livre sur les étagères de votre librairie préférée, je doute que vous le trouviez (hormis peut-être si vous habitez Toulouse, mais il s'agira là d'un cas particulier sur lequel je vais revenir). On connaît la rotation infernale des livres sur les présentoirs, on ne va pas refaire l'histoire. Si Benoît Séverac est connu du monde du polar, il ne l'est pas encore complètement du grand public, et c'est regrettable. Quant à la maison d'édition, tme, basée à Toulouse où se situe l'action du livre (j'y suis revenu plus vite que prévu tout compte fait), elle ne l'est pas du tout.

J'ai fait l'acquisition de Rendez-vous au 10 avril au Festival de polar de Villeneuve lesAvignon, en 2011, où l'auteur était présent. Près d'un an plus tard, je me décide enfin à le lire. L'envie était là de me frotter à un roman noir situant son action au lendemain de la première guerre mondiale. Et trouver un passage du Témoin oculaire de Ernst Weiss en préambule du livre, a été une passerelle plus qu'encourageante (à lire, lire, et relire !).

Un inspecteur de police, vétéran de la guerre, est confronté à deux décès aux apparences trompeuses survenus dans la nuit : le suicide d'un professeur de l'école vétérinaire de Toulouse et la mort d'un notable de la ville. Si l'enquête se révèle assez classique dans son traitement et bénéficie de quelques heureuses coïncidences, la part belle est ici donnée au narrateur de l'histoire, lequel porte en lui les stigmates de la guerre mais aussi le poids d'un secret qu'il a bien pris soin d'enfouir à fortes doses d'alcools et de morphine. Son état n'est pas sans embarrasser sa hiérarchie, sans gêner non plus certaines personnes qu'il est amené à rencontrer au cours de ses enquêtes. Tous les soirs, au lieu de rentrer chez lui, il trouve un semblant de réconfort dans une maison close, où la tenancière l'autorise à dormir. Ses seuls moments de répit sont là, dans ces maigres heures volées aux images qui l'assaillent : souvenirs de guerre ou passants dans la rue le renvoyant à un passé révolu à jamais. Cet homme, dans son désespoir, sa ruine, sa douleur, Benoït Séverac a su le rendre authentique jusqu'au final sidérant de cette histoire. Le tout servi par une belle écriture.

L'écriture. On ne peut pas ne pas l'évoquer en ce qui concerne Un petit jouet mécanique de Marie Neuser. C'est en tout cas un des aspects du livre qui retient immédiatement l'attention. Elle est là, comme cette petite musique à laquelle fait référence l'auteur dans le livre : « Quoi que tu aies envie d'écrire, tu dois trouver ta petite musique. Trouve-la et suis-la. Et elle te fera aller au plus près de la vérité. ». Elle est là, donc, et emporte irrémédiablement le lecteur dans les filets de son histoire, dont, désolé pour le cliché, on ne ressort pas indemne (mince, je viens de me rendre compte que ce sont les termes exacts de la quatrième de couverture... mais comme c'est exactement ça, on ne va rien changer aux mots !)

Après bien des années, Anna revient en Corse, à Acquargento, demeure où ses parents passaient leurs vacances avec elle. Elle se rappelle son dernier été passé là-bas, lorsqu'elle avait seize ans. L'été où sa sœur, Hélène, est tout à coup réapparue sur leur lieu de villégiature, bébé au bras. Étrangères de cœur, étrangères en tous points, les deux filles ne s'apprécient guère. Les douze années qui les séparent n'ont sans doute rien arrangé. Et si l'arrivée de la jeune femme et de son enfant chamboulent au début le quotidien des uns et des autres, les jours filent pourtant, semblables, chacun vaquant à ses occupations. Anna écoute de la musique, peint, écrit, se rend à la plage, se nourrit de son ras-le bol d'être ici et pas ailleurs, se nourrit aussi de sa solitude quand elle ne joue pas avec le bébé. Pourtant à mesure que les jours passent, Anna en vient à s'interroger sur le comportement de sa sœur à l'égard de son enfant.

L'été, le quotidien transfiguré petit à petit, le malaise prégnant sans qu'on puisse clairement en identifier la nature, ou même l'apaiser. C'est en cela, dans sa faculté à générer cette impression que l'écriture de Marie Neuser est redoutable. Les mots, leur sens et ce qu'ils génèrent deviennent purement indissociables. La « petite distillation progressive », évoquée dans le roman, est en marche. Que ce soit le glissement d'Anna dans son approche de l'âge adulte ou dans les événements qui se nouent. Les phrases effleurent, s'inscrivent dans le cerveau comme un sillon qui passe et repasse, gravent sournoisement mais implacablement la monstruosité d'un instant, d'une période de la vie où la normalité n'a plus sa place. A moins bien sûr qu'elle ne soit constitutive d'un tout, drame compris. 

Et ces mots là - on en revient à eux - vous touchent d'autant plus, vous lecteur, lorsqu'Anna raconte son histoire à la deuxième personne du pluriel. Une manière de prendre de la distance face aux événements, dont le temps n'a en rien altéré la douleur.

Tout est à sa place dans ce roman. Il n'y a rien à enlever, rien à rajouter. Juste à se laisser prendre, se laisser aller au doute, à l'amertume et à l'espoir aussi.

J'ai du mal à lâcher le clavier parce que je voudrais dire encore bien des choses pour vous inciter à le lire ce bouquin, mais il faut quand même vous laisser le "plaisir" de la découverte.

Enfin, si vous ne savez pas quoi lire en ce moment, hein...

Moi, ce que j'en dis...

Ah si, tout de même, il est utile de le préciser : Un petit jouet mécanique est apparemment le deuxième livre de Marie Neuser, je vais donc m'empresser de me procurer le premier, Je tue les enfants français dans les jardins.

Bon allez. Je vous laisse, j'ai mes valises à préparer. Direction le futur. Suis pas sûr que ce soit moins noir...

Rendez-vous au 10 avril, de Benoît Séverac, éditions tme (noire d'Histoire), 316 p.
Un petit jouet mécanique, de Marie Neuser, L'écailler (Polar & Noir), 157 p.

01/11/2012

Le Temps du rêve / Norman Spinrad

Si tant est qu'on en doute, on ne peut pas apprécier tous les livres d'un auteur. Alors autant ne pas y aller par quatre chemins, Le Temps du Rêve m'a terriblement ennuyé. La question est maintenant de savoir pourquoi et de ne pas se cacher derrière cette simple affirmation.


Le pitch était pourtant prometteur. J'ai pour habitude de résumer ici-même les histoires à ma sauce mais Le Temps du rêve est si particulier que je préfère, pour une fois, laisser la place à la quatrième de couverture :







BIENVENUE DANS LE TEMPS DE VOTRE RÊVE !

GRÂCE AU DREAMMASTERTM VIVEZ LA VIE DONT VOUS AVEZ TOUJOURS RÊVÉ...

>Sélectionnez le scénario de votre choix, fermez les yeux et laissez-vous guider.
>Une aventure dont vous êtes le héros, aux côtés de vos stars et icônes préférées !
>Le Temps de votre rêveTM vous offrira des sensations inédites. Vous vous changerez en aigle, en condor, en prince, en déesse, en explorateur, en virus...

>TARIF ATTRACTIF<
Contrôle parental exigé



Voilà de quoi donner envie de se plonger dans le livre, de savoir à quelle sauce Norman Spinrad va une fois de plus appuyer de manière bien sentie sur les dangers de notre société moderne, là ou ça fait mal, sans doute parce que nous sommes tous acteurs, de manière consciente ou non, d'une vérité pas toujours évidente à entendre.

"De nos jours, pour aller de n'importe où à n'importe où ailleurs, il faut traverser de longues étendues de nulle part, ce que quiconque croyant être quelqu'un fait tout pour éviter. La civilisation peut-être définie comme la distance entre ceux qui s'estiment civilisés et ceux qui doivent faire le sale boulot, mais elle ne paraît jamais assez grande, n'est-ce pas Princesse ?"

Et ,en l'occurrence, Norman Spinrad, pour mettre en garde – à moins qu'il ne soit trop tard – sur le contrôle des masses, passe donc par la voie des Rêves, impliquant directement le lecteur en utilisant le « tu ». Là encore, pourquoi pas, mais c'est dans le traitement du récit onirique que je n'ai pas pu adhérer à ce texte, relativement court, et pourtant trop long. Trop long parce que trop descriptif et chargé de séquences abruptes, parfois délirantes, presque toujours sans queue ni tête. Comme peuvent l'être les rêves, j'en conviens et je serais même enclin à dire que Norman Spinrad a réussi un tour de force en les rendant si... réels.

"Ce qui est réel, est réel..."

Mais de la même manière que je suis réfractaire au théâtre de l'absurde, je ne suis pas parvenu ici à coller aux expressions oniriques auxquelles j'étais pourtant invité à être le héros, avant d'en être le spectateur critique. Et de fait, tout ce sur quoi ce texte invitait à la réflexion (l'évolution, le sens du réel, l'uniformisation...) m'est un peu passé au-dessus de la tête, et je ne manque pas de le regretter.

Qu'à cela ne tienne, ça ne m'empêchera pas de lire ou de relire Norman Spinrad dont LePrintemps russe, Jack Barron et l'éternité, Les Années fléaux et Il est parmi nous, font partie des œuvres qui comptent indéniablement... en attendant le prochain.

D'autres avisplus éclairés que le mien par ci chez Le Traqueur Stellaire et chez Bad Chili

CITRIQ

Le Temps du Rêve, de Norman Spinrad, traduit de l'américain par Sylvie Denis et Roland C. Wagner, Fayard, 2012, 222p.

31/10/2012

Haka / Caryl Férey

Les personnages torturés, rongés, écorchés par l'existence, violents, alcooliques, morts avant de l'être, ne manquent pas dans le polar. Impossible de les compter sur les doigts d'... de bien des mains. Si les clichés ont la peau dure, à l'image de ces héros accablés par le sort, bon nombre d'auteurs ont pourtant su les déjouer ou se les approprier pour mieux les contourner. Ils arrivent à emporter le lecteur sur des sentiers non balisés à la seule force de l'histoire, de l'intrigue, du style, de cet univers, aussi noir soit-il, dans lequel évoluent les personnages. Et, avec Haka, Caryl Férey a démontré combien il savait y faire pour déjouer les pièges de la clich'attitude.

Le pari n'était pourtant pas gagné si l'on en juge l'état dans lequel l'auteur balance son personnage dans les cordes dès les premières pages, avant de le blackbouler sur le ring de l'histoire, avec le lecteur en guise de caméra embarquée.

Nouvelle-Zélande. Jack Fitzgerald est un flic métisse. Désabusé, violent, dépressif, alcoolique. Depuis 25 ans, depuis la disparition de sa femme et de sa fille, il voit dans chaque affaire la possibilité de remonter à la source de ce drame personnel. Il met donc du cœur à l'ouvrage dans chacune d'entre elles quitte, parfois, à dépasser les bornes, franchir la ligne jaune. Jack nourrit des certitudes contradictoires quant au sort réservé à ses chères disparues : vivantes, mortes, vivantes, mortes... L'absence de corps et du moindre indice l'ont toujours fait vaciller entre l'assurance de leur trépas et l'espoir, même si le temps a eu la fâcheuse tendance à y aller de son travail de sape.
Lorsqu'on découvre sur une plage le corps d'une jeune fille le sexe scalpé, Jack s'investit une fois de plus dans cette enquête avec la conviction qu'il connaîtra le fin mot de son histoire après toutes ces années. Seule ombre au tableau, ses supérieurs, peut-être pour le canaliser, lui ont adjoint une jeune criminologue diablement efficace...

Par bien des aspects, Haka n'est pas sans rappeler Les Soldats de l'aube d'un certain Deon Meyer. Il faut sans doute imputer cette impression à la nature du personnage à sa propension à la violence, à sa déchéance morale, ainsi qu'au dépaysement suscité par le lieu, la Nouvelle-Zélande pour l'un, l'Afrique du Sud pour l'autre, chacun identifiable par sa culture et son milieu sociétal respectifs.

La comparaison s'arrête là car Haka possède son identité propre, servie par une belle galerie de personnages évoluant en parallèle de la ligne narrative dévolue à Jack et à son enquête. Ceux-ci ne sont pas uniquement des faire-valoir, ne sont pas seulement des éléments constitutifs de la mécanique d'un récit servant – peut-être – à brouiller les pistes, ils s'avèrent aussi des êtres à part entière qui, dans leur marge émotionnelle, intérieure, se révèlent d'une fulgurance redoutable (entendez par là qu'ils sont foutrement beaux !).

Sombre, noir, glauque, oppressant - ne rayez aucune mention inutile - Haka ne manque pas de l'être. Le lyrisme dont fait preuve l'auteur dans l'utilisation de ses métaphores n'atténue en rien la sensation de fuite  en avant, de déliquescence généralisée.

Et si la quatrième de couverture promet que « Jack Fitzgerald  mènera l'enquête jusqu'au chaos final », on ne peut que se réjouir, d'une certaine façon, qu'elle dise vrai. Ça dézingue à tous les étages. Caryl Férey tranche dans le vif et laisse la caméra embarquée dont je parlais plus haut, dans... dans un triste état. Forcément. 

Haka de Caryl Férey, Baleine (Instantanés de polar), 1998, 448 p. / Folio policier, 448 p., 2003

26/10/2012

Dans l'oeil du Gabian / Françoise Laurent

Si Gérard, dit Gégé pour les intimes, comptait couler des jours paisibles pour sa retraite, c'est... disons... plutôt raté. Ça ne s'annonçait déjà pas forcément évident avec les triplées que son fils Arthur et sa belle-fille Capucine ont eu l'immense bonheur d'accueillir en ce bas-monde. Non pas que ça l'impressionne les batteries de couches, les batteries de cuisine ni même les batteries de pleurs. Tout ça, après tout, n'est qu'une question d'organisation. Et puis en ce week-end pascal au Grau Roi, on se laisserait facilement aller à l'indolence : beau temps, barbecue en marche, petit vin frais, la famille, l'ami Jean-Baptiste qui accueille tout ce beau monde chez lui.

Bon, il est pas en grande forme l'ami Jean-Bapt. L'Education Nationale vient de le mettre à pied parce qu'il aurait giflé un marmot tout disposé à le faire sortir de ses gonds, histoire que les copains immortalisent l'instant avec leur téléphone portable. Mais qu'à cela ne tienne, tout ce beau monde est prêt à passer un bon petit moment, loin des remous du quotidien.

Et cela aurait pu être le cas si... si les gabians évoluant à proximité n'y étaient pas allé eux aussi de leurs concerts de cris, des cris motivés par un morceau de viande qu'ils se disputent. Tant et si bien que la pitance en question tombe dans le plat comme un cheveu sur la soupe. Mais voilà, en guise de cheveu, c'est d'une oreille humaine qu'il s'agit, ornée d'un anneau. Arthur le reconnaît aussitôt. Il appartient à Denis qu'il a, en médecin qu'il est, ausculté pas plus tard que la semaine dernière. L'appétit n'est plus de mise, sauf peut-être pour Gégé, prompt à écouter son estomac en toutes circonstances...

Quelle belle surprise que cet œil du Gabian Dès les premières pages, le ton est donné, on est clairement dans le registre de la comédie policière. Le lecteur pénètre dans la tête de Gégé, suit l'évolution de ses tracas, des ses embarras, de ses envies, de ses doutes. Ça part dans un sens, ça s'arrête brusquement à l'amont d'une pensée, emprunte d'autres directions. Et quelles directions, serait-on tenté de dire... C'est drôle, enlevé, nourri de personnages hauts en couleur dont on savoure le verbe et la gouaille.

Cependant on aurait tort de penser que la tonalité du récit et la légèreté apparente de celui-ci lui enlèvent toute cohérence, toute profondeur. La comédie, est-il encore besoin de le prouver, fait partie de ces ressorts à même de révéler les multiples facettes de l'humanité, des plus cruelles aux plus futiles, des plus émouvantes aux plus déstabilisantes. Françoise Laurent s'inscrit dans cette optique. Ses personnages sont entiers, mais révèlent aussi des failles insoupçonnées au regard de l'Histoire et de leur(s) histoire(s). Celles-ci, imbriquées les unes aux autres, portées par les mensonges, les trahisons, mais aussi par le regard tronqué de nos semblables ainsi que par le jugement qui en découle, démontrent combien nos existences peuvent s'avérer tumultueuses, au point d'amener aux actes les plus absurdes ou les plus tragiques.

A Gégé, cette fois-ci d'en être l'un des témoins. A nous, l'envie de le retrouver en espérant qu'il ne prenne pas trop de... plomb dans l'aile.

Ils l'ont aussi apprécié : Passion Polar, Actu du noir

Dans l'oeil du gabian, de Françoise Laurent, Krakoën, 2012; 284 p.

18/10/2012

L'Homme délaissé / C.J. Box

En ce moment, je fais dans les héros récurrents. Que voulez-vous, quand on se prend d'affection pour un personnage, on aspire toujours à le retrouver à un moment ou à un autre... Même si, pour cela, il est parfois possible d'éprouver une sorte de lassitude à son égard. Cela n'a pas encore été le cas avec Joe Pickett, garde-chasse du Wyoming. Et, à peu de choses près, je pourrais répéter ce que j'ai déjà dit en guise d'introduction à la lecture de l'ouvrage précédent, Sanglants trophées. Oui, l'engouement est toujours là, bien là et rien ne laisse supposer qu'il va s'arrêter à cet épisode. Quelques indics m'ont assuré que ce ne serait pas le cas. Si leurs informations venaient à être fausses, j'ai les moyens de leur en faire voir de toutes les couleurs, en leur faisant lire mes premiers romans d'amour.... et même les derniers. La punition suprême aura lieu en cas de récidive, avec mes polars. Ils le savent. Alors je leur fais un peu confiance.

Cette fois-ci, point de phénomènes étranges ou mystiques. L'Office des forêts demande à Joe de remplacer au pied-levé le garde chasse du Comté de Jackson. Will Jensen, son collègue et ami, s'y est en effet donné la mort. Trop de pression professionnelle, un divorce récent, l'attitude de l'homme avait changé du tout au tout ces derniers temps. De nature calme et raisonnable, attentif aux autres, l'homme ne se contrôlait plus. Il buvait, troublait l'ordre public, cédait à la paranoïa. Son suicide est survenu à un moment où les autorités n'auraient plus été en mesure de dissimuler ses frasques. Naturellement, Joe accepte sa nouvelle mission, il y voit peut-être là l'occasion de quitter à terme son propre Comté, où sa situation est de plus en plus précaire. Il sait cependant que le contexte à Jackson est particulier, qu'il sera attendu au tournant par pas mal de monde. Il le sait mais il est bien déterminé, comme d'habitude, à accomplir sa mission et à tenter de comprendre ce qui a pu pousser Will à se donner la mort.

On prend les mêmes et on... ne recommence pas. C'est sans doute là l'une des clés de la réussite de cette série. Il y a bien sûr des constantes, comme cette représentation presque systématique de lutte de David contre Goliath que C.J. Box met en place. Joe Pickett doit sans cesse faire ses preuves face à une hiérarchie récalcitrante et à des hommes d'affaires puissants, prêts à l'écraser à la moindre occasion, n'hésitant pas non plus à tenter de l'amadouer ni à s'efforcer de briser la carapace de son intégrité. La restitution de cette lutte est telle que personnellement je ne peux qu'y adhérer, et j'avoue qu'il y a bien des fois où j'aimerais me glisser dans sa peau à Joe, me planter devant la tête de buse en face de lui [moi] et y aller de mon impressionnante carrure – ne vous méprenez pas, je faisais ça gamin en sortant des westerns [ou du film Starfighter ; ou Indiana Jones; ou... liste non exhaustive], je revivais les scènes à renfort de bruitage ; quant à la carrure, je repasserai, cela va de soi.

Ceci dit, il est pénible le Joe, il a des valeurs qu'on voudrait bien voir un peu moins tranchées parfois, qu'il se laisse un peu aller, qu'il lâche un peu du lest mais, comment dire, on ne peut pas le changer comme ça non plus, d'une simple volonté de lecteur. Et puis si Joe n'était pas Joe, peut-être cette série n'aurait-elle pas le même attrait ? Allez savoir... Au fil des tomes pourtant, le garde-chasse prend quand même du poil de la bête... sans vouloir faire de jeu de mots. Sa naïveté semble s'étioler au fur et à mesure, et il n'hésite pas à faire front lorsque cela s'avère nécessaire. Au regard des aventures qu'il a traversées, on comprend aisément qu'il rechigne encore à se laisser marcher sur les pieds.

Les grands espaces sont encore une fois au cœur de l'intrigue, au cœur des luttes qu'ils suscitent inévitablement : préservation de la nature, prospection immobilière, enjeux politiques, rancoeurs... quand ces éléments se croisent, il y a fort à parier que les remous ne manqueront pas. Et à C.J. Box de nous surprendre une fois de plus quand tout laisserait supposer une fois encore qu'on avance en terrain connu. Oui, on prend vraiment les mêmes et... on ne recommence pas !

Les enquêtes de Joe Pickett à ce jour (parus en France) :
 

L'Homme délaissé, de C.J. Box, traduit de l'américain par Anick Hausman, Points Seuil (Policier), 350 p. 

04/10/2012

Tsukushi / Aki Shimazaki


A l'occasion du treizième anniversaire de sa fille, Yûko trouve chez elle une boîte d'allumettes ornée d'une image de tsukushi. Sans y porter attention sur l'instant, cette simple découverte va pourtant ébranler les fondements même de la vision qu'elle s'était façonnée de son couple, faire vaciller les certitudes reposant sur un amour et une confiance bâtis au fil des ans.

Le Personnage de Yûko n'est pas étranger à ceux qui auront déjà entamé le deuxième cycle romanesque* de Aki Shimazaki. La jeune femme, pas encore mère, apparaissait en effet dans le premier tome de la série, Mitsuba**. Dans ce récit, un jeune cadre japonais, amoureux de Yûko se retrouvait confronté à la dureté des codes du travail ainsi qu'aux lois sociales de son pays, tiraillés entre tradition et modernité.

On pourrait se contenter de lire Tsukushi et en rester à cette histoire pour ce qu'elle révèle à elle seule de douceur, d'émotion et d'impact aussi. Avec la fiévreuse délicatesse qui lui est propre, Aki Shimazaki se penche ici de manière plus sensible que dans ses autres romans sur la notion de couple et sur la dichotomie qu'elle suppose avec le sentiment amoureux lui-même : jalousie, non-dits, doubles vies, secrets qui sont autant d'entrave au bonheur, un bonheur bien plus fragile quand il s'est construit presque malgré soi.

Chaque roman composant ce cycle est plus qu'une variation autour d'une même histoire. Bien que pouvant se lire indépendamment les uns des autres, ils revêtent un caractère tout à fait singulier dans leur interconnexion. Ils se prolongent, se complètent, se répondent à travers plusieurs voix. En écouter une, son histoire, c'est déjà dénicher une pépite. Les entendre toutes, c'est découvrir la mine qui va avec. Bien qu'à l'aune du récit de chacun des personnages on serait plutôt tenté de dire que d'une tempête, Aki Shimazaki a su générer un ouragan. De ceux qu'on n'oublie pas.
 

* Le Poids des secrets étant le premier.
** Dans l'ordre de parution : Mitsuba ; Zakuro ; Tonbo


Tsukushi, de Aki Shimazaki, Leméac / Actes Sud, 137 p.

29/09/2012

Les Voleurs de Manhattan / Adam Langer

Ian Minot aspire à devenir écrivain. A être publié. La mince affaire... Ian essuie refus sur refus pour des nouvelles qu'on lui reproche d'être sans surprises, sans saveur, désincarnées. Anya, sa petite amie roumaine dont il doute qu'elle restera longtemps avec lui, écrit aussi. Remarquablement. Au point de se faire repérer par un agent lors d'une soirée-lecture réputée pour dénicher les talents de la littérature contemporaine.

Chaque jour qui passe renvoie Ian à son échec, à la vacuité de son existence, alors que partout s'affiche la nouvelle coqueluche très tendance de la littérature nord-américaine, Blade Markham. L'homme s'invite partout : des plateaux télé aux affiches dans le métro jusqu'au Morningside Coffee, lieu de travail de Ian. C'est là, que Jed Roth, un homme au pourboire généreux, lui met tous les jours l'ouvrage de Markham l'usurpateur sous le nez. Car il ne fait aucun doute pour Ian que le bonhomme n'est pas un vrai écrivain, qu'on ne peut qualifier ainsi une personne mettant des «yo » en début et en fin de chaque phrase. Ce sentiment, Jed Roth le partage. Et la venue de cet ancien éditeur au Morningside Coffee, avec le livre tant plébiscité toujours en évidence, n'est pas innocente.

Il a un marché à proposer à Ian : s'approprier un roman que Jed a rédigé des années auparavant, le réécrire, faire croire qu'il s'agit de mémoires pour ensuite annoncer la supercherie. Ian pourrait faire ainsi une entrée fracassante dans le monde de l'édition et vendre alors ses nouvelles comme jamais il n'aurait osé l'imaginer. Sur le papier, l'affaire paraît simple. Dans la réalité, les choses seront un tantinet plus compliquées. Reste à savoir sur quel pan de la réalité Ian se situe, de quelle vérité il se fait l'intermédiaire.

Les Voleurs de Manhattan est une œuvre dans l'œuvre d'une œuvre. Adam Langer fait dans la mise en abyme et celle-ci lui réussit, comme elle réussit à son lecteur. Première petite touche, la page de titre avec la mention « mémoires » biffée à la main, remplacée par « roman ». Lui succède une dédicace un peu obscure qui ne prendra sa signification qu'après la page 191, aussi bien pour la personne initialement nommée que, une fois encore, pour le lecteur. Si ces éléments surprennent et intriguent à l'entame du roman, ils contribuent néanmoins à donner une dimension réellement surprenante, vertigineusement fascinante, une fois le livre refermé. Chaque chapitre correspond à un titre ou à la référence d'une œuvre ayant défrayé la chronique pour la supercherie dont elle a fait l'objet. La liste n'est pas exhaustive...

La mise en abyme se révèle aussi dans le format du livre. Les Voleurs de Mahnattan fait près de 260 pages. Tout comme le roman de Jed Roth, au titre similaire, dont Ian Minot sera finalement l'auteur. Adam Langer sème faussement le trouble. Personne n'est dupe mais cela se révèle bien habile pour aborder le mensonge, la supercherie, qu'elle soit littéraire ou humaine. Et de remettre en cause la sincérité, l'authenticité d'un certain milieu éditorial américain où le succès importe plus que la qualité d'un ouvrage, d'une société où il devient primordial d'être connu, reconnu pour avoir la sensation d'exister vraiment. A l'image d'un Ian Minot, personnage ô combien attachant, ou de ses comparses du Morningside Cofee, l'une exerçant la peinture, l'autre la comédie. Créer pour exister. Mentir, parfois, omettre, pour créer.

Adam Langer conclut son livre en beauté dans un pastiche de polar où les rebondissements savamment orchestrées se succèdent, où l'humour transpire de chaque paragraphe, où les personnages éclatent dans leur transgression à exister entre les lignes et bien plus encore, dénués de toute superficialité. Des êtres qui ne sonnent pas faux au service d'un roman authentique !

Les Voleurs de Manhattan, de Adam Langer, traduit de l'américain par Laura Derajinsky, Gallmeister (Americana), 264 p.

19/09/2012

Les Faucheurs sont les anges / Alden Bell

Pour tout roman post-apocalyptique – post apo pour les intimes - où les zombies ont pignon sur rue, il ne suffit pas de charger la mule pour emporter l'adhésion du lectorat. Comprenez par là que la surenchère de scènes sanglantes avec tripatouillages de viscères en veux-tu en voilà, agrémentés d'explosions de cervelles en bonne et due forme (sinon, ces chers défunts conservent la dent dure...) ne garantit en rien la qualité de l'œuvre. Si World War Z de Max Brooks est devenu, à juste titre, une référence du genre, et si Un Horizon de cendres de Jean-Pierre Andrevon ne démérite pas non plus, à l'inverse, la novélisation de la bande dessinée Walking Dead visant à mettre le projecteur sur l'un de ses personnages énigmatiques est un navet du genre : je marche, je fracasse, je marche, je dépèce avant qu'on ne me dépèce, je prends une voiture parce que sinon ça va traîner en longueur, et vas-y que l'autre bouffon il est passé à deux centimètres de m'arracher le nez, mais heureusement je suis plein de ressources et je vais en faire baver à tout le monde, zombies et humains compris... à tout le moins, on peut concéder un bénéfice au livre, un seul, le style a des airs de berceuse et pourrait même vous faire économiser une prise de somnifère...

Aussi pour ne pas rester sur cette impression négative sur ce genre de romans, il convient parfois d'aller voir ailleurs, et pourquoi pas du côté de Les Faucheurs sont les anges, un très bon roman signé Alden Bell. Ici, contrairement à L'Ascension du gouverneur auquel je faisais allusion, c'est bien le style qui fait toute la différence. Le style au service de l'histoire, bien entendu.

Temple a quinze ans et pour elle, le monde d'avant n'existe que par ce qu'on a pu lui en dire et les vestiges d'une civilisation à jamais révolue. On sait très peu de choses sur elle. Tout au plus qu'elle a eu un temps deux compagnons de route et de survie : l'oncle Jackson, pas vraiment son oncle, et le petit Malcolm, peut-être son frère mais rien n'est moins sûr, elle-même ne le sait plus très bien. S'ils ne sont plus avec elle aujourd'hui, on devine néanmoins très vite les raisons de leur disparition, à défaut d'en connaître les circonstances. Temple évolue dans son monde avec une relative assurance, elle en connait les codes, les dangers. Elle ne s'en laisse pas compter. Elle a quinze ans, peut-être, mais les événements ont forgé son caractère, favorisé une maturité d'un autre âge. Armée de sa machette, elle vient facilement à bout des morts-vivants, les limaces comme elle les appelle. Elle doit parfois faire face aux survivants, nombreux, qui sillonnent les routes ou vivent en reclus dans des forteresses érigées sur les décombres des villes ou des villages. A l'occasion d'une halte dans l'une d'elles, elle se défend contre un homme qui tente de la violer. Elle tue l'homme sans l'avoir prémédité avant de sciemment l'empêcher de se transformer en zombie. Son geste la renvoie sur les routes, pourchassée par le frère de sa victime. 
 
D'emblée, Alden Bell écarte toutes les craintes que l'on aurait pu avoir eu égard à toutes les héroïnes bêtifiantes de Bit-Lit qui pullulent ici ou là. Pas de côté gnagnan, pas de mélo ni de mièvrerie. L'histoire et le monde décrits dans ces pages ne le permettent pas. Les Faucheurs sont les anges séduit donc avant tout par la crédibilité que l'auteur a su donner à une Terre dévastée par un fléau qui la dépasse.. Les descriptions ne s'apesantissent jamais sur les aspects les plus gore ni les plus scabreux. Ils ont le mérite de la simplicité et de l'efficacité, ce qui leur donne paradoxalement un impact bien plus retentissant.

Qui plus est, et n'en déplaise à ceux qui dénigrent le genre, la poésie n'est pas absente de ce livre. Elle se révèle dans le regard que portent les protagonistes sur leur monde, leur environnement, leur devenir aussi, aussi sombre soit-il... En parcourant ces pages, je n'ai pu m'empêcher de penser à Des souris dt des hommes de John Steinbeck, notamment dans le lien tissé entre Temple et Maury, l'idiot qu'elle a croisé sur sa route et pris sous son aile.

Les raisons de se plonger dans la lecture de Les Faucheurs sont les anges ne manquent pas. Il y a là du style, je l'ai dit, des personnages forts et intrigants, de très bonnes idées qui éclairent le genre d'un jour nouveau, une ambiance saisissante... et encore, tout ceci ne donne qu'un maigre aperçu de l'ouvrage, celui-ci ne se révélant entièrement qu'en suivant Temple pas à pas. Pour le meilleur et peut-être pour le pire... 
 
Et l'espoir dans tout ça, me direz-vous ? Voilà une question que l'on serait en droit de se poser en refermant le livre. La réponse réside peut-être dans les instants volés où la beauté s'offre de manière inopinée, pépites aux allures de bouffées d'air, dans la continuité d'une quête, différente pour tout un chacun, et néanmoins synonyme de sens.

Ils m'ont donné envie de le lire : Quoi de neuf sur ma pile ?, From the avenue

Les Faucheurs sont les anges, de Alden Bell, traduit de l'américain par Tristan Lathière, Bragelonne, 2012, 288 p.
CITRIQ

15/09/2012

Cal de Ter, intégrale 1 / Paul-Jean Hérault


La rencontre avec Cal de Ter aurait pu se produire plus tôt. Je veux dire, en 1975, quand le premier titre de la série est paru dans la mythique collection Anticipation chez Fleuve noir. Seulement voilà, en 1975, je baignais encore dans mes langes...

Malgré le travail remarquable de La Rivière Blanche où figurent plusieurs titres de Paul-Jean Hérault à leur catalogue et malgré aussi une tentative ratée avec Millecrabe (paru aux éditions Interkeltia), titre pour lequel le manque de relecture éditoriale et une typographie calamiteuse avaient eu raison de ma patience, malgré tout ceci, donc, il m'aura fallu attendre 2012 pour succomber à la curiosité. Le début d'année a en effet vu refleurir un peu partout le nom de l'auteur en librairie, à travers plusieurs rééditions dignes d'intérêts : Gurvan aux éditions Critic et Cal de Ter, donc, chez Milady, qui regroupe pas moins de trois romans : Le Rescapé de la Terre, Les Bâtisseurs du monde et La planète folle.

Après que les humains ont finalement trouvé le moyen de mettre définitivement la Terre en péril, un certain Guise installe Cal en état d'hibernation dans la capsule d'un vaisseau spatial, lequel Cal se réveille quelques milliers d'années plus tard aux abords d'une planète s'avérant habitable. Il s'installe, planque ses affaires – mieux vaut être prudent – et commence son exploration. Assez rapidement, il découvre un peuple pacifique fascinant, les Vahussis. Bien décidé à s'intégrer auprès de ces personnes qu'il prend en affection, Cal ne peut néanmoins s'empêcher de contribuer à leur bien-être en leur délivrant le fruit de ses connaissances terriennes. Mais à trop vouloir jouer les bons samaritains, cela peut entraîner quelques... menus problèmes, surtout quand s'offre à vous la possibilité de mesurer l'ampleur d'une évolution à l'échelle de plusieurs siècles.

L'histoire de Cal est du genre tumultueuse, exotique, aventureuse... multiple. Et ça ne fait pas de mal de goûter à de la Science-fiction de cette trempe là. Il y a bien là-dedans un petit côté suranné – ça sent bon la SF à papa – mais cela n'enlève en rien le plaisir que l'on en retire à la lecture, bien au contraire. C'est d'ailleurs en lisant cet ouvrage que j'ai d'une certaine façon pu imaginer la passion qui anime Laurent Genefort autour de cette science-fiction d'une autre époque, dont il n'a de cesse de favoriser à nouveau la lecture en travaillant à sa réédition auprès de différents éditeurs.

Peu importe ici la véracité scientifique – j'imagine que les dents de certains doivent grincer –, ce qui retient surtout l'attention, ce sont les situations rencontrées par Cal dès son entrée en piste sur cette planète sensiblement proche de la nôtre. Ce personnage livré à lui-même – un peu à la manière de Adam Reith dans le cycle de Tschaï de Jack Vance – confronté à toutes sortes d'aventures dont il se fera le fer de lance, impose la figure d'un Héros fort, inébranlable, intrépide et armé de bonnes intentions, qu'on croirait tout droit sorti d'un pulp.

De fait, si cette image est intéressante et donne sa tonalité au livre, Cal n'est pas sans agacer parfois, notamment dans son manie de vouloir jouer au Dieu (avis aux nostalgiques, le récit, allez savoir comment, m'a rappelé le jeu Populous sur Amiga) : je sais ce qui est bon pour vous, je m'institue maître de votre destin, je connais la voie de la sagesse même si mes frères terriens et moi avons contribué à notre perte, mais après tout peu importe. Première leçon pour favoriser l'esprit d'équipe et aller ensemble de l'avant, je vais vous apprendre à jouer au football (!).

Cal comme facteur d'évolution ? Cela prête à sourire mais cet aspect des choses, face à la richesse du livre et des péripéties dont il se fait l'écho dans ce premier tome, ne représente pas un frein à la lecture.

Entre Planet opera, Ethno-fiction, Aventure et Fantasy, le mélange aurait facilement pu s'avérer indigeste, il ne fait que mettre en appétit. Ça tombe bien, l'intégrale tome 2 est déjà parue. Quant à la troisième, elle devrait voir le jour au premier trimestre 2013. Dans l'intervalle, les lectures ne manqueront pas pour patienter...

Les premières lignes, celles qui, en librairie, ont motivé mon acquisition :

Dans l'espèce de tube transparent où il repose, nu, le corps de l'homme est impressionnant de blancheur. Celle des cadavres. Ses cheveux, châtain très clair, presque blonds, ont poussé, mais leur éclat est tout de même encore trop vif pour être ceux d'un mort.
Le bruit d'un déclic vient rompre le silence pesant. Pas un bruit sec de machine bien entretenue, plutôt celui, hésitant, d'un appareillage qui fonctionne toujours, certes, mais avec un poil de retard. Dans une armoire murale un bourdonnement naît et, peu à peu, une horlogerie étonnante met en œuvre une multitude de cadrans qui s'éclairent.
Une sorte de gelée verdâtre glisse dans le tube transparent et vient recouvrir les pieds de l'homme, montant peu à peu vers son visage d'où s'échappent des dizaines de fils collés à la peau par une goutte d'un liquide durci. Insensiblement, comme la marée d'un océan, la gelée s'anime d'un mouvement de flux et de reflux qui s'accélère jusqu'à devenir nettement perceptible à l'œil.
Les heures passent...

Cal de Ter. Intégrale 1, de Paul-Jean Hérault, Milady, 2012, 593 p.
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