26/11/2011

Réveillez le Président ! / Jean-Hugues Oppel

Si avec ce titre vous vous attendez à une attaque en règle de notre (bien aimé ou pas) actuel Président de la République, qui serait favorisée par l’approche des futures élections, passez votre chemin.
Si, en revanche, vous êtes prêts à plonger dans les coulisses du pouvoir et à sauter à pieds joints dans les tréfonds de la défense nucléaire internationale, alors poursuivez votre lecture !
Dans les profondeurs du Pentagone, deux généraux américains tiennent conciliabule et sont plus que perplexes. Le système d'écoute Echelon leur a transmis des informations stupéfiantes : la France se trouve actuellement en alerte Rouge, autrement dit en alerte nucléaire. Les Français sont-ils gravement menacés ? Se préparent-ils à lancer une attaque ? Faut-il réveiller le président des Etats-Unis ? De l'autre côté de l'Atlantique, la ministre de la Défense française a déjà été réveillée pour apprendre les mêmes nouvelles hallucinantes. Au milieu de ce chaos, une seule certitude au ministère : la France n'est en guerre avec personne. Alors ? Bouffée délirante du chef suprême des armées ? Piratage informatique ? Virus dans le système ? Seul le président de la République peut mettre fin à cette panique - mais il semblerait qu'il soit aux abonnés absents…
Si vous êtes familier du style de Jean-Hugues Oppel, vous retrouverez dans ce roman tout ce qui rend son œuvre aussi prenante : action au présent qui donne une impression d’urgence au récit, ton mordant et bons mots à foison, regard ironico-désabusé (c’est selon en fonction de ses romans) sur la société, personnages truculents. Sauf que dans le cas présent, vu la situation qu’on comprend rapidement pouvoir franchir le point de non retour et verser dans une guerre nucléaire mondiale, ces caractéristiques (d)étonnent. Alors que nous sommes dans un contexte de crise internationale, les deux personnages principaux, une informaticienne de génie et une sorte d’agent des renseignements généraux, passent une partie de leur temps à se chercher et à jouer au plus malin. Ils seront rejoints en cours de récit par un troisième personnage tout à fait « oppelien ». Alors, inconscience de nos héros ? Facilité de l’auteur qui ne croit pas à son histoire ?! Que nenni. Comme je le disais, ce roman dépeint un contexte international baignant dans une extrême tension aux quatre coins du globe et l’attaque nucléaire pourra survenir à tout moment ; il s’agit donc pour les protagonistes de s’accorder quelques moments de répit et de respiration avant que tout ne bascule…peut être… Qui n’a jamais essayé de se sortir d’une situation délicate en ayant recours à un petit sarcasme bien placé ?!
Il est naturel de s’interroger sur la crédibilité du récit compte tenu de l’histoire qu’Oppel souhaite nous raconter. D’autant que très rapidement, on ne peut s’empêcher de penser au Tom Clancy de la grande époque, période durant laquelle il nous contait par exemple le déclenchement d’une troisième guerre mondiale dans Tempête Rouge. Clancy avait été d’ailleurs soupçonné d’avoir eu accès à des documents classés secret défense tant la description qu’il faisait des différents belligérants et du conflit naissant était crédible. Et bien c’est la même crédibilité qui entoure le récit chez Oppel. A la différence notable que l’auteur donne une dimension intimiste à son histoire, tandis que chez Clancy, il y avait un réel aspect « épopée blockbuster « avec ses quasi 900 pages. Chez Oppel, on peut parler d’unité de temps, le récit se concentrant sur quelques heures ; d’unité de lieu également : même si nous basculons d’un continent à l’autre à plusieurs reprises, nous accompagnons en permanence des petits groupes de personnes confinés dans des bunkers ou des sous-sols peu engageants ; d’où une proximité et une empathie naturelle avec les personnages.
Toujours en termes de crédibilité, Oppel brosse un portrait détaillé du microcosme présidentiel, et plus particulièrement celui en charge des affaires de défense et de la chose nucléaire. Jamais ces personnes n’apparaissent en super-héros : ils sont à des années-lumière du Jack Ryan de Tom Clancy et sont davantage dépeints comme des personnes ordinaires devant trouver des solutions d’urgence dans un contexte extra-ordinaire.
Enfin l’auteur cite, en début de certains chapitres, plusieurs cas où le monde a bien failli basculer dans l’horreur nucléaire. L’un des personnages fera référence en cours de récit à l’équilibre de la terreur qui régnait sur le monde depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Ces différents exemples montrent toute l’absurdité de la course à l’armement nucléaire à l’époque de la Guerre Froide, tout en entretenant le suspens quant au fin mot de l’histoire. Oppel parvient en effet à nous laisser dans l’incertitude jusqu’aux dernières pages.
Vous l’aurez compris, nous sommes face à un excellent suspens. Vous aurez remarqué que je ne précise pas à quelle époque se situe l’histoire ; bien qu’Oppel ne cite jamais de nom, il est en effet très aisé de se situer rapidement grâce aux descriptions et aux bons mots de l’auteur.
Je finirai en précisant que Oppel évoque en toute fin de roman des faits contés dans son roman French Tabloids, écrit auparavant. Il m’est impossible d’en dire plus, sous peine de vous gâcher le suspens et la surprise. Je préciserai juste que les faits exposés dans Réveillez le Président précèdent ceux de French Tabloids ; mais quel que soit votre ordre de lecture, vous vous régalerez avec ce clin d’œil adressé au lecteur averti !
A la lecture de ces deux romans, il apparaît clairement que Oppel compte parmi les meilleurs écrivains observateurs de la société française actuelle, et de son monde politique en particulier. Il nous régale par sa verve, sa gouaille, son ironie et l’évidence de son propos. A ce sujet, il est d’ailleurs regrettable qu’il ne connaisse pas le même succès que ses petits camarades du thriller pur et dur. Je suis tout à fait capable de dévorer un bon Jean-Christophe Grangé (Miserere, une bombe) ou un Thierry Serfaty en grande forme (Le gène de la révolte, une merveille) ; mais des auteurs comme Jean-Hugues Oppel ou d’autres incitent davantage à la réflexion, et n’hésitons pas à le dire, sont capables de nous faire froid dans le dos de par la crédibilité et la plausibilité de leurs œuvres. Aussi, je vous encourage, que dis-je, je vous ordonne de vous plonger séance tenante dans l’œuvre de ce très grand auteur de la littérature française ; vous vous régalerez comme moi, je l’espère, avec Réveillez le Président, mais également avec French Tabloids, Cartago ou encore Chaton Trilogie. Vivement son prochain !!!

Et pour le plaisir d'écouter Jean-Hugues Oppel, voici un interview vidéo réalisée peu de temps après la sortie de Réveillez le Président !:





A bientôt,
Cedshaft


23/11/2011

Vertige / Franck Thilliez


Alors, alors, il est comment le dernier Thilliez ? Pour les fans de la première heure, pas la peine d’aller plus loin, vous l’avez déjà lu et ma chronique ne vous apportera rien de nouveau.

Après mes deux déceptions, que sont Le Syndrome E et Gataca, j’ai l’immense honneur de vous annoncer que Monsieur Franck Thilliez est de retour.

Un grand auteur n’est pas forcément sans surprise. Il lui arrive, et c’est tant mieux, d’essayer autre chose et je ne peux que l’en remercier, mais il est vrai que ses deux derniers polars n’avaient pas allumé de petites loupiottes vertes dans mon cerveau.

Alors ? ALORS ? Il est comment le dernier Thilliez ?

Tout simplement diabolique, malsain et haletant.

Il ne détrône pas La Forêt des ombres et  Train d’enfer pour Ange rouge  dans ma bibliothèque mais je vais l’offrir et le recommander vicieusement à tous les amateurs du genre et ce jusqu’à la sortie du prochain !

Jonathan Touvier, ancien alpiniste confirmé, se réveille au fond d’un gouffre en compagnie de son chien. Il est entravé au poignet par une énorme chaîne plantée à un pieu dans la roche. La dernière chose dont il est pleinement conscient est d’avoir laissé sa femme, Françoise, à l’hôpital. 

Deux parfaits inconnus sont à ses côtés. L’un est attaché à la cheville, l’autre a le visage recouvert d’un masque de fer relié à l’arrière du crâne à un détonateur. S’il s’éloigne de plus de 50 mètres de ses compagnons d’infortune, il explose. 

Pourquoi sont-ils ici ? Qu’ont-ils fait pour mériter une telle torture ? Comment vont-ils survivre ? Combien de temps tient un homme sous terre dans des conditions aussi extrêmes ? Quand perd-on la tête ?

Vertige est un huis clos où l’écriture de Franck Thilliez y est efficace, extrêmement précise, sans descriptions interminables ni cours de sciences. Il sait instaurer un climat de peur dès les premières pages et cela ne vous lâche pas après. Si le pendant de Saw avait un roman, cela pourrait bien être Vertige.

Son roman est une avancée dans l’horreur. Chaque heure qui passe transforme un peu plus ses individus soumis à des conditions extrêmes.

A la manière d’un grand chirurgien de l’horreur, Franck Thilliez nous emmène avec ses personnages dans une descente aux enfers. Pas à pas nous nous rapprochons du dénouement, et doucement nous sentons un peu plus le froid du glacier en nous.

Bref mes petites plantes, c’est du sur mesure !!!

A très vite,

Mauvaise graine.





21/11/2011

Une heure de silence / Michael Koryta

Rien de neuf sous les tropiques. L'histoire d'un ancien flic devenu privé. Pour autant, il aurait été dommage de ne pas s'y intéresser sous ce simple prétexte. Vous connaissez l'adage, c'est avec les vieilles recettes qu'on fait les meilleures soupes. Qui plus est, ce n'est pas en recherchant l'originalité à tout prix qu'on obtient les meilleures bouquins non plus.

Lincoln Perry, c'est le nom de ce détective, reçoit un jour la visite d'un ancien détenu, Parker Harrison. Celui-ci voudrait retrouver Joshua et Alexandra Cantrell, le couple qui l'avait accueilli chez eux dans le cadre d'un programme de réinsertion. Ils ont disparu du jour au ledemain voici douze ans. Fait étrange, les impôts relatifs au domaine qu'ils habitaient, « La Crête aux murmures » continuent d'être honorés. Si ce n'était que ça. Lincoln découvre en effet peu de temps après la visite de Harrison que le corps de Joshua a été retrouvé il y a peu et qu'Alexandra n'est autre que la sœur d'un gros bonnet de la mafia de Cleveland. L'affaire semble donc bien plus complexe qu'il n'y paraît, et Lincoln est tout disposé à refuser de s'y engouffrer. Seulement voilà, il n'est pas totalement maître de ses choix...

Rien de neuf sous les tropiques. Ça se confirme. Qui plus est, c'est assez plat. L'histoire en elle-même n'est pas trépidante et dans les actes, Michael Koryta ne parvient jamais à faire en sorte qu'elle le devienne. Il y a dans ce livre un manque évident de rythme. Ça mouline, ça palabre, ça tourne et ça vire et même quand Lincoln reçoit la visite du ponte de la mafia, on devine qu'il devrait y avoir de la tension mais voilà, on ne la ressent jamais. Un exemple parmi d'autres, du même acabit.

Autre point gênant, et presque systématique – j'ai bien dit presque – il suffit qu'un personnage soit évoqué par l'un des protagonistes de l'histoire pour qu'il entre en scène quelques pages plus tard seulement. Cette avancée à rebonds dans l'enquête lui donne au final un côté poussif qui donne bien vite envie de passer à autre chose...

 






Une Heure de silence, Michael Koryta, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédéric Grellier, Seuil (Policiers), 365p.

13/11/2011

Les Mages de Westil - 1 - La Porte perdue / Orson Scott Card


Les Dieux ne sont décidément plus ce qu'ils étaient. Avec le temps, leurs pouvoirs se sont sensiblement amoindris. À tel point même qu'ils ont été obligés de se couper du monde des vivants, les Somnifrères, se cachant d'eux à l'aide de sorts qu'ils ont su préserver et transmettre à leur descendance. La faute en incombe à Loki qui, en 632, a fermé l'ensemble des portes reliant le monde magique de Westil, celui dont ils sont issus, et Mittlegard, la Terre. Sa volonté était alors d'éviter que le chaos ne se déchaîne car chaque fois qu'un Dieu transitait entre ces mondes, ses pouvoirs gagnaient en puissance. Certains, dont Loki, voyaient là l'ouverture à une escalade dans les conflits opposant les différentes familles divines.

Les North, descendants d'Odin, vivent au cœur d'une petite vallée, en Virginie. Danny, treize ans, est l'un d'eux. Plus exactement, il porte leur nom. Car pour le reste, disons qu'il a une certaine tendance à subir le courroux de ses pairs quand ils ne manifestent pas un profond désintérêt à son égard. Danny est en effet considéré comme un drekkar, un être dont les pouvoirs ne se sont pas révélés, s'il en possède seulement. Ce que les siens n'imaginent pas, c'est qu'en réalité sa puissance est telle qu'elle pourrait remettre en question l'équilibre du monde dans lequel ils se sont fondus : Danny est un portemage, un créateur de portes. Et aux yeux des familles il n'y a qu'un sort possible à l'égard de ceux qui sont doté d'un tel pouvoir : la mort...

Voilà le moment le plus périlleux, parler du dernier livre d'Orson Scott Card paru en France. Si je n'ai pas été un lecteur de la première heure de cet auteur, je me suis néanmoins bien rattrapé par la suite en me procurant chacun de ses livres... jusqu'aux Marionnettes de l'ombre, roman issu du cycle parallèle à la Stratégie Ender. De cette série, je le dis avec le recul, j'aurais mieux fait de m'arrêter au premier tome, les autres n'étant pour ma part qu'une transposition, une restitution de sa documentation sur la géopolitique et de ses incidences sur l'Art de la guerre. Je ne parle même pas du nouveau deuxième tome d'Ender, L'Exil, qui m'est littéralement tombé des mains tant il me semblait qu'Orson Scott Card retombait dans un travers déjà rencontré dans Les Enfants de l'Esprit, et dans d'autres ouvrages ensuite, à savoir que le propos du livre prenait toute la place et ce, au détriment de l'histoire elle-même. Je ne voudrais pas avoir l'air de tirer sur l'ambulance. Seulement, après avoir vibré avec Ender dans le premier ouvrage qui lui était consacré, puis dans La Voix des morts, sans parler des Chroniquesd'Alvin le Faiseur, des Maîtres Chanteurs, des nouvelles aussi, je dois dire que c'était un peu navrant de voir les cycles se clore - ou se prolonger a posteriori (vous me suivez là?), voire même se réécrire(1) - de la sorte (l'image du soufflé, voyez...), laissant la place à une réelle déception. Une déception que je redoutais en entamant La Porte perdue.

Et c'est là qu'il faut sortir trompettes et clairons, lâcher les colombes dans le ciel, libérer les ballons prisonniers des pognes des marmots, laisser enfler la musique en même temps que se hissent les drapeaux !

- Hum... t'en fais pas un peu trop là ?
- Ah ? Tu trouves ?
- Ben chais pas, mais c'est juste un livre, quoi...
- C'était pour illustrer, tu vois.
- Mouais... chais pas, tu devrais peut-être effacer.

Car La Porte perdue signe d'une certaine manière le retour d'un grand Conteur (même si, à en croire la postface, lui-même n'a jamais douté avoir cessé de l'être... mais ça c'est une autre histoire...). Et pour ce faire, il revient à nouveau – cela ne surprendra personne – avec un roman initiatique où l'on trouve un jeune garçon devant prendre son envol face à des forces qui le dépassent. Forces avec lesquelles il va devoir se familiariser avant de trouver sa voie. Si la recette est connue, c'est bien dans l'univers campé par l'auteur que réside toute l'intensité et toute la portée du livre. Card situe en effet la majorité de son action dans notre monde, à notre époque, mais il intercale dans son récit une trame parallèle se situant sur Westil, dans un environnement médiéval vraiment fascinant. Et il le fait d'ailleurs de manière si subtile que le lecteur s'interroge sur les relations qui unissent les personnages évoluant dans ces deux sphères narratives, ainsi que sur la manière dont ils vont indéniablement se télescoper. C'est sans conteste ce questionnement associé à la découverte des facultés magiques des uns et des autres et, plus globalement, à l'univers suggéré par Orson Scott Card qui donnent sans cesse envie de poursuivre son exploration.

Qui plus est, il y a des airs d'Oliver Twist dans cette histoire de gamin, orphelin dans l'âme, obligé de quitter les siens pour survivre, et dont le parcours est jalonné de rencontres hasardeuses avant qu'il ne trouve enfin refuge auprès de personnes attachantes. Celles-là même qui sauront faire en sorte de lui faire prendre la pleine mesure de qui il est et de ce qu'il est réellement, au-delà de la simple manifestation de son pouvoir.

Il serait je crois malvenu d'en dire plus. Un conseil toutefois : laissez juste s'ouvrir à vous les portes de Westil et, surtout, surtout, ne les laissez pas se refermer... 

(1): Orson Scott Card a en effet procédé à une réécriture de La Stratégie Ender afin de coller aux événements qu'il avait intégrés dans L'Exil...

Les Mages de Westil - 1 - La Porte perdue, Orson Scott Card, traduit de l'américain par Jean-Daniel Brèque, L'Atalante (La Dentelle du Cygne), 413 p.
 
CITRIQ