24/06/2011

La Fraternité du Panca. Tome 4, Soeur Onden / Pierre Bordage

Pour inaugurer le nouveau et bienvenu challenge de Mr et Mme Lhisbei, le Summer StarWars, consacré au psace opera et au Planet opera, je pensais commencer avec une valeur sûre, à savoir le quatrième tome de la Fraternité du Panca de Pierre Bordage. Conquis par les trois premiers tomes (avec quelques réserves pour le second tome tout de même), j'étais tout disposé à me laisser emporter par une nouvelle course folle dans les étoiles.
Malheureusement, cela n'a pas été le cas. En partie d'ailleurs pour les même raisons que j'avais évoquées concernant Soeur Ynolde. Si le souffle et l'écriture sont toujours au rendez-vous avec Pierre Bordage (on se demande même comment il pourrait en être autrement), j'ai plus que jamais eu l'impression de relire les mêmes scènes sous un autre habillage et d'y trouver certains mécanismes – oserais-je dire des automatismes ? - dans la description des personnages et de leurs intentions. Cela n'aura sans doute échappé à personne, les femmes tombent très souvent sur des hommes qui n'ont qu'une idée en tête : les besogner tant et plus et tant pis si elles ne sont pas d'accord.
Autre récurrence, l'apparition systématique des frères du Sât qui, à force, font plus office de pauvres pantins inutiles et bien démunis qu'autre chose. A l'occasion de l'une d'entre elles, l'image de X-Or, le fameux Shérif de l'espace que certains d'entre vous ont peut-être connu, m'a traversé l'esprit, presque malgré moi. A la fin des épisodes, après moult coups de pieds et pirouettes accessoires, X-OR débinait toujours ses adversaires de la même façon, d'un coup de sabre laser pourfendant l'air, action par laquelle il aurait pu s'épargner bien des plaies et des bosses en y recourant plus tôt. Aucun effet de surprise. Comme dans Soeur Onden, où c'est l'impression de redite qui prévaut.
Je regrette vraiment d'avoir été contraint de mettre un terme à ce voyage avant son terme. Je me console en me disant que je trouverai bien une navette pour une autre escale, quitte à retrouver plus tard une autre histoire de Pierre Bordage. Je n'ai pas de doute là-dessus.

La Fraternité du Panca. Tome 4, Soeur Onden, Pierre Bordage, L'Atalante, 448 p.

CITRIQ

22/06/2011

Les Visages / Jesse Kellerman

Ethan Muller dirige une galerie d'art. Entre l'installation des expositions, les catalogues à réaliser, les artistes à gérer, le temps libre est une denrée rare. Aussi, quand Tony, le bras droit et ami de son père avec lequel il n'entretient plus aucune relation, lui demande de le rejoindre d'urgence pour évaluer des œuvres dont il est entré en possession, Ethan est tout disposé à refuser. Mais la curiosité finit par l'emporter. Qui plus est, le résultat va bien au-delà de ses attentes. L'œuvre est magistrale, colossale, unique : des milliers de dessins et croquis qui, mis bout à bout sur leurs quatre faces - si tant est qu'il soit possible de les exposer en un même lieu - se combinent au point de révéler leur essence, tourmentée et exaltée. Sur certains d'entre eux figurent des visages d'enfants, enlevés et tués des années auparavant. Et Ethan ne peut même pas compter sur l'auteur de ces dessins pour en savoir plus à ce sujet. Il s'est tout simplement évaporé dans la nature et personne, pas même ses voisins, ne semble à même d'en donner une description concordante.

Il faut croire que le phénomène se répand. Une fois n'est donc plus coutume, on nous sert du thriller là où il n'y en a pas. Ce n'est même pas moi qui le dit mais Ethan Muller, le narrateur de cette histoire. Il a au moins le mérite d'être clair. Alors que s'annonce la fin du livre, il avertit même le lecteur de ne pas s'attendre à un énorme rebondissement ni à une quelconque scène d'action époustouflante. Par là même, il s'affranchit des codes, les détourne à souhait. On peut y voir là une volonté d'ancrer son personnage et son histoire dans une réalité, de rendre l'un et l'autre aussi crédibles et véridique que possible. Après tout, dans la vie, la vraie vie, les choses ne se passent jamais tout à fait comme dans un roman.
Ce genre de démarche est loin de me déplaire d'autant que le formatage thrilleristique sur les scènes de fin – action, parlotte, action, fin, voire double fin avec retournement de situation de derrière les fagots – a de plus en plus tendance à m'éloigner du genre.
Seulement un tel parti pris n'est pas non plus synonyme de réussite. Il n'a en tout cas pas été un élément déterminant à mon adhésion au roman. Ou à mon manque d'adhésion, en l'occurrence. Car cette volonté de raconter, de nous raconter une histoire comme si elle s'était réellement passée, souffre d'une construction pour le moins hasardeuse. La narration est en effet coupée d'interludes, visant à retracer les origines des Muller sur le territoire des Etats-Unis, au 19ème siècle. C'est d'abord intrigant, prenant aussi, même si on se demande ce que ça vient faire ici. A chacune de ces coupures on avance dans le temps. Puis les liens qui unissent tous ces personnages les uns aux autres s'éclairent.
Le problème en fait, c'est que dans ces évocations, Jesse Kellerman procède là encore à des flashbacks, certains n'étant d'ailleurs d'aucun intérêt et s'avérant du même coup assez poussifs. Lors des derniers interludes, il va même jusqu'à remonter à nouveau le cours du temps pour se consacrer à un personnage central de l'histoire. Ça ressemble un peu à du je m'arrange comme je peux pour tout dire et tant pis si c'est un peu cahin caha. Ça l'est.
On le devine, sans que l'on sache trop comment, l'ensemble des éléments qui sont rapportés dans ce contexte narratif sont connus de Ethan Muller. Aussi on s'étonne que les révélations qu'ils véhiculent ne transpirent pas dans ses réflexions ni ne sèment jamais vraiment le trouble en lui. Ce garçon là est insipide, les autres personnages aussi. La description de l'art contemporain qui est faite dans le roman l'est tout autant. Quant aux relations conflictuelles entre le père et son fils, peu explicitées, elles ont un arrière-goût d'artifice. Comme si elles n'existaient que pour les besoins d'un histoire, où tout arrive plus ou moins comme un cheveu sur la soupe. Alors je n'ai rien contre les cheveux, je n'ai rien contre la soupe mais quand ils entravent mes lectures, ça me navre.
Les Visages, Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Sonatine, 471 p.

14/06/2011

Homo erectus / Tonino Benacquista

Qu'on ne s'y méprenne pas. Avec son livre, Tonino Benacquista ne vient pas marcher sur les plates-bandes de J.M. Auel et de ses romans préhistoriques, même si dans son cas il est aussi question de l'évolution de l'homme avec, vous l'aurez remarqué, un petit "h". Raison pour laquelle sans doute, ce titre, Homo erectus, sonne comme un écho aux mutations successives que l'Homme a pu connaître depuis qu'il s'est dressé pour aller de l'avant, vivre et s'adapter à un environnement soumis lui aussi à de perpétuels remous.

Tonino Benacquista s'est arrêté sur notre époque, comme pour dresser une photographie de la complexité de la condition masculine aujourd'hui, de l'essence de ses aspirations, de ses doutes, de ses faiblesses et des moyens dont il dispose pour y faire face.

Dans ce livre, l'auteur est parti du postulat selon lequel il existerait une confrérie, une congrégation, un cercle – à chacun son terme – dans lequel des hommes se réunissent pour parler de leurs expériences sentimentales, de leurs échecs amoureux. Bizarrement, sans qu'il y ait d'explication rationnelle au phénomène, le nombre de participants à ces réunions reste toujours le même, à peu de choses près. Les hommes vont, viennent. Une fois, deux fois, sans cesse. Tour à tour ils prennent la parole, se livrent, exposent leurs cicatrices existentielles marquées au fer d'une palette d'émotions dont ils ne peuvent se départir : rancœur, jalousie, nostalgie, soif de vengeance... Et quand bien même chaque histoire se nourrit au fond du même matériau, l'amour, toutes trouvent leur déclinaison dans la personnalité des intervenants qui s'en font le relais ainsi que dans la disparité de la réception et de l'interprétation faite par les auditeurs. De sorte que dans tous les cas, chaque histoire revêt un caractère unique.

Tonino Benacquista nous propose de suivre trois hommes, trois témoins représentatifs de la diversité de la condition masculine. Denis travaille dans une brasserie. Il pense avoir subitement perdu tout attrait auprès des femmes. Yves est poseur de fenêtres. Sa femme l'a trompé et depuis, il consume son capital dans les bras de prostituées dont on lui a vanté les mérites. Quant à Philippe, c'est un philosophe bien connu du milieu intellectuel. Il porte encore sur ses épaules le poids d'une immense déception sentimentale que même l'aura d'une célèbre top model avec qui il entame une relation ne semble vouloir le délester.

Il y certains journaux qui dans leur cahier littéraire s'amusent au jeu des « en hausse » « en baisse » où, en l'espace de quelques lignes, des journalistes encensent ou descendent un bouquin. Il faut se méfier de ces petites bestioles dans lesquelles leur auteur s'essaye – ô malheur - à l'humour, histoire qu'on revienne y jeter un coup d'œil la semaine suivante. Car, si j'ai vu Homo erectus dézingué ici ou là, j'estime pour ma part avoir bien fait de ne pas succomber à ces sirènes répulsives. Non, Tonino Benacquista n'a pas écrit un nouveau Saga, ni un nouveau Quelqu'un d'autre. Non, il ne nous embarque pas dans le milieu de l'art contemporain ni ne nous invite à suivre les tribulations de mafieux. Il explore de nouvelles pistes. Avec toujours la belle inventivité et la fluidité sans faille qui le caractérisent. Au point même de nous faire regretter de quitter un personnage pour un autre, avant de nous happer aussi sec pour une nouvelle exploration des sentiments, et nous emporter finalement dans une ronde réjouissante.

La corde de l'émotion ? Oui. Mais qui oserait se plaindre de la voir ainsi se mouvoir sous l'impulsion de tels accents de vérité ?

03/06/2011

La Vie comme elle va / Alexander McCall Smith

Avant d'être bibliothécaire, j'ai été libraire, et avant ça encore, bibliothécaire. Si je vous dis ceci, ce n'est pas uniquement pour me péter les bretelles – mais quel super-héros qui s'est autoproclamé comme tel ne le fait pas, hein, dites ? - ni entretenir le gonflement de mes chevilles sous prétexte que sans ledit gonflement, mes chaussettes finiraient par retomber sur mon pied, mollassonnes et pathétiques. Non, si je vous le dis, vous pensez bien que cela a, aussi, un rapport avec le livre dont je vais parler aujourd'hui, à savoir La Vie comme elle va, 5ème tome des aventures de Mma Ramotswe signé Alexander McCall Smith.
Donc, si vous suivez toujours, après avoir été bibliothécaire et avant de le redevenir, j'ai été libraire. Dans un café-librairie. Anglais. En France. Un magnifique endroit, avec un plafond en pierres voûtées, ce genre de lieu où il fait bon lire en buvant un café, un thé – je ne faisais pas la bière -, ou un smoothie que je mettais huit plombes à préparer. En tant que préparateur de jus de fruits, je n'étais pas très doué. Ni en tant que libraire d'ailleurs. Mais à cette occasion, j'ai tout de même connu de beaux moments. Comme l'organisation de concerts de musique ou la mise en place d'un club de lecture. C'est à travers l'un de ces derniers que j'ai fait la connaissance de Mma Ramotswe, première femme détective du Botswana. Il y avait eu une dizaine de personnes pour venir parler des Larmes de la girafe, dont certaines (les personnes , pas les larmes) avaient vécu dans ce pays d'Afrique. Elles n'avaient bien sûr pas manqué de faire le parallèle entre la fiction avec la réalité. Deux aspects qui ne manquaient pas de points de concordance.
On ne peut pas lire les aventures de Mma Ramotswe sans avoir envie à un moment ou un autre de se rendre au Botswana.
« En Afrique, on était bavard, on s'interpellait d'un côté de la rue à l'autre ou à travers une étendue de savane, et peu importait si les passants entendaient. Des conversations entières pouvaient ainsi se tenir alors que l'on continuait à avancer chacun dans sa direction, parlant jusqu'à ce que les voix deviennent trop faibles ou trop lointaines pour être intelligibles, jusqu'à ce que les mots soient happés par le ciel. »
Alors bien sûr, le roman est traité sur le mode de la comédie, voire même de la fable ou du conte, l'approche pouvant même paraître un peu naïve par moments, mais la réalité, les préoccupations, les interrogations sur le devenir de ce pays, sur la perte des traditions, sur une modernité galopante et étouffante sont bel et bien là d'un opus à l'autre.
« Le Botswana avait été un pays à part et il le restait, mais il l'était davantage du temps où chacun, ou presque, respectait les anciens usages. Le monde moderne était égoïste et peuplé d'individus indifférents et mal élevés. »
Pour autant on n'éprouve jamais une quelconque impression de redite entre chaque aventure, et le texte ne connaît jamais de perte de vitesse. Pour la simple raison qu'il n'y en a pas, de vitesse. La vitesse, ici, elle n'a pas sa place. Il est même étonnant de voir qu'à l'heure où pas mal d'intrigues policières vont à cent à l'heure, carburent aux rebondissements, Mma Ramotswe trouve quant à elle son rythme de croisière dans un certain éloge de la lenteur et de la contemplation. Avec brio.
« Observer les gens et se demander ce qu'ils faisaient constituait un passe-temps traditionnel au Botswana. La nouvelle mode, qui voulait que l'on se montrât indifférent aux autres, semblait difficilement acceptable. Regarder les gens n'était-il pas un signe que l'on s'y intéressait, que l'on refusait de les traiter comme de parfaits étrangers. »
L'enquête ici est inexistante. On pourrait le regretter. Là encore, il n'en est rien. L'impact... non pas l'impact, le mot est trop fort, trop percutant... disons alors l'enthousiasme dans La Vie comme elle va, provient encore et toujours des personnages. Ils sont si marqués et si authentiques qu'il se rappellent à nous avec une facilité déconcertante, quand bien même on les a perdus de vue depuis longtemps. Cependant, cette fois-ci, l'enthousiasme vient aussi des rapports hommes / femmes qui sont dépeints.
« Nous savons toutes que ce sont les femmes qui prennent les décisions, mais nous devons donner aux hommes l'impression que ces décisions sont les leurs. Il s'agit d'un acte de charité de notre part. »
Ah ça, vous pouvez prendre n'importe quel homme de cette histoire, aucun n'a le beau rôle : perfide, sournois, calculateur, timoré, obsédé, vénal... Dis comme ça, ça fait très caricatural, mais c'est traité d'une telle manière que c'est en réalité très drôle.
Je le disais, l'envie de découvrir le Botswana est là. Mais je me connais, une fois sur place je serai sans cesse à l'affût de LA camionnette blanche de Mma Ramotswe. C'est dur parfois de faire la distinction entre la fiction et la réalité d'autant qu'on peut se poser la question de savoir si elle existe vraiment, hein... mais je ne vais pas ouvrir ce débat là, j'ai un bain de bouquins à prendre.
Pas facile d'être un super-héros des livres, moi j'vous l'dis...